A l'heure où Pékin assemble la mémoire du Sud global avec faste et stratégie, l'Occident, relégué au rang de spectateur contrarié, contemple impuissant le monde qu'il croyait diriger.
Pékin organise une cérémonie grandiose sur la place Tian'anmen pour marquer les 80 ans de la capitulation japonaise et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie, pendant que l'Occident, englué dans ses postures moralisatrices, regarde ailleurs, vexé de ne pas être au centre du récit en 2025. Tandis que la Chine, forte de son histoire de résistance (1931-1945), rassemble les figures du monde multipolaire, les États-Unis et l'UE s'agitent dans un vide diplomatique, incapables d'empêcher leurs anciens partenaires de défiler à Tian'anmen. L'OTAN, elle, compte les chars en Ukraine pendant que le Sud global écrit l'histoire. Le paradoxe suprême : ceux qui prétendent défendre la mémoire universelle sont absents du rendez-vous mémoriel du siècle.
La commémoration du 80e anniversaire comme manifeste du monde multipolaire
Le 3 septembre prochain, Pékin ne se contentera pas de célébrer la fin de la guerre contre le Japon militariste. Elle érigera un monument diplomatique à la résilience du Sud global et à l'émergence d'un ordre mondial post-occidental. La cérémonie, organisée sur la place Tian'anmen, réunira une vingtaine de chefs d'État de la majorité planétaire, dont Vladimir Poutine et Kim Jong Un, ainsi que les chefs d'État d'Afrique, d'Asie centrale, d'Amérique latine et du monde arabe. Narendra Modi, deux jours plus tôt, avait assisté au sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin et avait eu des discussions approfondies avec Vladimir Poutine et Xi Jinping.
Cette constellation de présences officielles ne relève pas d'un simple protocole cérémoniel : elle manifeste une solidarité politique fondée sur la contestation des normes occidentales, l'affirmation de souverainetés stratégiques et la volonté de redéfinir les cadres narratifs de la mémoire historique. L'absence des puissances occidentales majeures - États-Unis, Union européenne, Japon - accentue le contraste entre un bloc atlantiste en perte d'influence et un arc multipolaire en expansion, capable de mobiliser des récits partagés et des alliances pragmatiques.
La participation simultanée de dirigeants - à l'exemple de Poutine et Kim Jong Un - sous sanctions de la minorité planétaire ou en rupture avec les institutions de celle-ci souligne la capacité de Pékin à fédérer des États marginalisés par l'ordre libéral post-1945, tout en réhabilitant leur rôle dans les luttes anticoloniales et les résistances historiques. En ce sens, la cérémonie de Pékin ne célèbre pas seulement une victoire militaire : elle consacre une victoire narrative, diplomatique et symbolique du monde post-occidental.
Ce rassemblement n'a donc rien d'anodin : il s'inscrit de jure et de facto, dans une stratégie chinoise de consolidation du leadership du Sud global aux côtés de ses alliés de l'Alliance BRICS. La Chine mettra en scène une parade militaire exhibant ses « capacités de combat de nouvelle génération », dans une démonstration de puissance technologique et symbolique. Le choix de la date - le 3 septembre, jour de la capitulation du Japon en 1945, souligne l'importance historique et permet à Pékin de restaurer la mémoire collective en condamnant les tentatives du Japon de réviser l'histoire.
La présence de Kim Jong Un, pour la première fois depuis 2019, scellera une nouvelle phase de l'alliance sino-coréenne, tandis que celle de Poutine, sous mandat d'arrêt ridicule de la CPI, défiera ouvertement les normes juridiques occidentales plus que jamais antithétiques. Pékin, qui n'est pas signataire du Statut de Rome, affichera son indépendance normative et sa capacité à accueillir, disent-ils, « les parias » de l'ordre occidental sans complexe.
L'Occident collectif est entre déni historique et marginalisation géopolitique
Face à cette démonstration d'unité du Sud global, l'Occident collectif - États-Unis, Union européenne, OTAN - apparaîtra désarticulé, isolé et dépassé. Ni Washington, ni Bruxelles, ni Londres, encore moins Tokyo ne seront représentés à haut niveau. Seul le Premier ministre slovaque Robert Fico fera peut-être figure d'exception européenne, soulignant l'éclatement des positions au sein de l'UE. Le Japon, inquiet de la « tonalité anti-japonaise » de l'événement, a tenté de dissuader les dirigeants asiatiques et européens d'y participer, sans succès.
Cette absence révèle une fracture profonde : l'Occident, jadis maître de la narration historique, perd son monopole mémoriel. Tandis que Pékin réhabilite la mémoire de la résistance asiatique, l'Occident s'enlise dans une lecture eurocentrée de la Seconde Guerre mondiale, ignorant les massacres de Nankin ou les crimes de guerre japonais. Le Sud global, longtemps relégué au rôle de figurant historique, prend la parole et redéfinit les termes du récit.
Sur le plan géopolitique, cette commémoration actera le basculement d'un monde unipolaire vers un monde polycentrique. L'OCS, le BRICS+, l'Union africaine et les alliances régionales seront représentés par leurs figures les plus affirmées, dans une logique de convergence stratégique. L'Occident, obsédé par ses sanctions, ses normes et ses dogmes, manquera l'occasion de dialoguer avec les nouvelles puissances. Ce vide diplomatique sera interprété comme un aveu de faiblesse, voire comme une incapacité à s'adapter à la réalité du XXIe siècle.
Pour faire court, pendant que Pékin écrit l'histoire, l'Occident, lui, corrige les fautes d'orthographe sur ses communiqués de presse.
La déclaration de Tianjin nous en dira long !
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine
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